La valorisation indispensable de la chaleur fatale des centres de données
Par définition, la chaleur provenant d’un équipement est considérée comme fatale si elle n’en constitue pas la finalité première, raison pour laquelle elle est non récupérée. Traditionnellement, la valorisation de cette chaleur fatale est largement pratiquée dans le secteur industriel, mais on oublie trop souvent les sites tertiaires, notamment les centres de données, communément appelés « data center », qui présentent des gisements importants de chaleur fatale avec la dissipation des nombreux serveurs informatiques. Ces gisements nécessitent de faire évoluer l’exploitation des centres de données afin de mieux valoriser la chaleur récupérable sous différentes formes.
L’empreinte environnementale du numérique
A ce jour, les centres de données sont en constante évolution avec l’augmentation du volume des données numériques et l’hébergement de ces données dans les quelques 200 établissements sur le territoire. Cet hébergement représente pratiquement 30% de la consommation d’électricité du numérique, ce qui entraine, selon une étude de l’ARCEP et de l’ADEME, 2,5 % des émissions de CO2. A une autre échelle, on estime que la consommation électrique des centres de données de l’Union européenne devrait représenter plus de 3% de la demande d’électricité à l’horizon 2030.
Pour freiner la progression de la consommation d’énergie, la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, votée en 2021, a renforcé les exigences d’efficacité énergétique. Il s’agit de promouvoir, via la fiscalité, des centres de données et des réseaux moins énergivores.
Depuis cette date, la directive révisée (texte phare du paquet climat « Fit for 55 »), a été définitivement adoptée le 25 juillet 2023 par le Conseil de l’Union européenne et le texte comporte des exigences nouvelles :
- les centres de données d’une puissance nominale supérieure à 1 MW seront dans l’obligation d’utiliser la chaleur fatale ;
- les centres de données d’une puissance nominale supérieure à 500 kW devront faire connaître leur performance énergétique à la Commission européenne et l’ensemble des informations utiles sera compilé dans une base de données qui sera présentée au Parlement européen.
Les raisons de valoriser la chaleur fatale
La valorisation de la chaleur fatale est une opportunité pour réduire efficacement les coûts énergétiques. Déjà exploitée dans le secteur de l’industrie, cette valorisation bénéficie de subventions pour sa mise en place, via le dispositif des Certificats d’Economie d’Energie (CEE). S’agissant des centres de données, ils disposent d’un gisement important de chaleur perdue et de ce fait, ils peuvent contribuer à chauffer des villes, des bâtiments tertiaires, des piscines, des gymnases, des entrepôts, des serres agricoles, des bureaux, etc.
Dans le contexte actuel de réchauffement climatique et de hausse des prix de l’énergie, la maîtrise de la consommation énergétique est plus que jamais une nécessité. A ce titre, la valorisation de la chaleur fatale a deux effets positifs:
– elle diminue l’impact du data center sur l’environnement ;
– elle devient une nouvelle ressource énergétique, au même titre que le photovoltaïque, le charbon, le fioul ou le nucléaire.
On notera toutefois que la chaleur fatale informatique est une chaleur à basse température dépassant rarement 35°C et que cette restitution de chaleur représente une contrainte car dans leur majorité des cas, les réseaux de chaleur ont des niveaux de température qui dépassent 60°C. En outre, il existe deux catégories de centres de données nécessitant des solutions différentes pour exploiter la chaleur fatale :
– ceux qui sont intégrés dans des bâtiments tertiaires ;
– ceux qui sont totalement indépendants.
Ces sites sont équipés de groupes de froid pour maîtriser la température des serveurs, lesquels évacuent la chaleur fatale vers l’extérieur. Ce refroidissement représente plus de 30% de leur consommation globale d’électricité. On retiendra que le transport et l’usage de la chaleur fatale sortent généralement du cadre de la compétence des hébergeurs.
Cette récupération de chaleur fatale liée aux centres de données peut être utilisée pour le chauffage des locaux les plus proches. On peut également la canaliser pour une réinjection dans un réseau de chaleur situé à proximité et ainsi chauffer d’autres bâtiments dans la même zone géographique.
Les avancées du chauffage numérique
Le chauffage numérique est une technologie innovante qui se développe actuellement car elle répond aux défis énergétiques, écologiques et économiques. En effet, les centres de données sont devenus des monstres en termes de consommation d’énergie, laquelle représente environ 3% de la consommation électrique dans le monde, 8% en France et 50% dans une ville comme celle d’Aubervilliers où se trouve une concentration des gros centres de données. Par ailleurs, selon les prévisions de plusieurs organismes comme l’ADEME, cette consommation électrique est amenée à doubler tous les cinq ans car les besoins de puissance informatique sont toujours croissants.
Récupération de chaleur directe (Solution Alfa Laval)
La technologie dont il est question permet de bonifier l’énergie utilisée pour tous les calculs de données en récupérant la chaleur fatale. Au lieu de concentrer des milliers de serveurs dans les centres de données et les refroidir avec des systèmes de climatisation tout aussi énergivores, des sociétés pionnières en la matière les répartissent dans la ville, dans les logements…, sous la forme de radiateurs numériques ou d’autres systèmes de chauffage.
Reliés à internet, ces radiateurs numériques équipés de microprocesseurs réalisent des calculs pour le compte de divers organismes tiers dont les travaux sont externalisés. La puissance calorifique résultant de ces calculs profite ainsi aux occupants des lieux dotés de radiateurs numériques.
Aujourd’hui, ces appareils sont utilisés dans des bâtiments institutionnels ou résidentiels équipés du très haut débit. Dans ce cas, les habitants des logements n’ont plus à acquitter des factures de chauffage électrique et la faible consommation d’électricité des processeurs est remboursée aux habitants. On notera que l’acquisition de ces équipements a été encouragée par l’ADEME au profit des bailleurs.
D’une logique incitative à une approche réglementée
Si les bienfaits et l’utilité de cette technologie ne semblent pas faire de doute, y compris pour un journaliste du Figaro utilisant l’expression : «un serveur informatique qui se cache dans un radiateur », il n’existe actuellement aucun dispositif incitatif en faveur d’équipements de chauffage dont le fonctionnement repose sur la récupération de la chaleur fatale en informatique.
Comme nous l’avons souligné, la consommation électrique croissante du secteur du numérique a incité les pouvoirs publics à bâtir un cadre propice à l’émergence d’équipements plus performants. Dans ce contexte, la récupération de la chaleur fatale des centres de données, qui s’appuie encore sur une logique incitative, devrait progressivement s’orienter vers une approche plus réglementée car les centres de données présentent de gros gisements de chaleur fatale :
– la première étape consiste à moins consommer au niveau des applications en utilisant des serveurs plus performants et moins énergivores, puis d’arrêter certains équipements la nuit et même de faire la chasse aux serveurs obsolètes qui utilisent de l’énergie sans apporter de services ;
– la deuxième étape consistera à utiliser des solutions d’alimentation et de refroidissement plus performantes et moins gourmandes en énergie.
Quand ces solutions auront été mises en œuvre, la question se posera de récupérer la chaleur fatale générée par le fonctionnement du centre de données.
En définitive, la chaleur perdue par le matériel informatique et les systèmes de refroidissement sera récupérée pour des utilisations diverses. A ce titre, les rejets calorifiques des centres de données deviendront une ressource précieuse pour le chauffage de serres urbaines, pour l’apport de calories dans les piscines, etc. On pourra ainsi considérer qu’en récupérant et en valorisant la chaleur résiduelle, les centres de données deviendront de véritables « fournisseurs d’énergie », ce qui permettra d’accroître leur rentabilité.
René Revol
Références :
– Obligation de récupération de la chaleur fatale des data center – www.equinov.com
– Récupération de chaleur de data centers – www.alfalaval.fr/industries